Paquebot brise-glace: La croisière va-t-elle trop loin ?

La décision de la compagnie française Ponant de faire construire pour 2021 le premier brise-glace conçu pour effectuer des croisières dans des zones polaires suscite l’inquiétude chez les organisations de défense de l’environnement. La plus puissante d’entre elles, Greenpeace, ne cache pas ses craintes quant à cette nouvelle étape dans le développement du tourisme, notamment en Arctique : « La chose la plus triste dans cette histoire est le fait que les navires ont de plus en plus accès à l’Arctique éloigné du fait du changement climatique. C’est une sorte de tourisme tragique. Le Grand Nord connaît un changement fondamental et doit bénéficier d’une action urgente pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. Nous avons besoin de protection pour l’Arctique et d’actions sur le changement climatique, pas d’y voir de luxueux navires de croisière », estime Ben Ayliffe, porte-parole de Greenpeace International pour les sujets liés à l’Arctique.

Évidemment, ce n’est pas le Ponant Icebreaker à lui seul, surtout avec sa propulsion hybride plutôt vertueuse (moteurs fonctionnant au gaz naturel liquéfié et parc de batteries) qui aura un impact sur la fonte des glaces. Mais à l’heure des grandes conférences internationales pour lutter contre le réchauffement climatique, au moment où aux quatre coins de la planète des collectivités, associations ou simples citoyens essayent d’avoir un comportement plus vertueux et de tout faire pour protéger la nature, ce projet, si innovant et enthousiasmant soit-il, fait tache, du moins intellectuellement.

RISQUES D’ACCIDENT ET DÉVELOPPEMENT TOURISTIQUE

Greenpeace pointe d’évidentes problématiques liées à la sécurité : « Nous savons que des accidents se produiront inévitablement avec les bateaux naviguant dans l’Arctique. C’est une région incroyablement éloignée et hostile, et les capacités d’intervention et de secours sont quasiment nulles si quelque chose devait arriver à un navire ou à ses passagers ».

Mais pour l’organisation, la construction du Ponant Iceabreaker fait surtout ouvrir la voie à l’exploitation d’autres navires de croisière dans ce qui fait partie des derniers sanctuaires naturels de la planète : « Ce navire va probablement encourager d’autres opérateurs à suivre le même chemin, avec des bateaux qui ne seront pas forcément hybrides comme celui-ci. En cas d’accident, une pollution au mazout lourd serait catastrophique et causerait des dommages qui dureraient des dizaines d’années. À cela s’ajoute l’impact du carbone noir – la tache produite par les moteurs des navires – qui contribue au réchauffement déjà important dont l’Arctique est témoin ».

« PAS LE DROIT À LA MOINDRE ERREUR » 

Très sensible aux questions environnementales et ayant réalisé de nombreuses expéditions en zones polaires avant de rejoindre Ponant, Nicolas Dubreuil, très honnêtement, dit comprendre le malaise que peut susciter ce nouveau navire et ne nie pas les interrogations posées. C’est aussi ce qui le pousse, avec toute l’équipe d’expédition, à travailler minutieusement sur tous les aspects de ce projet. Il en va de même pour les autres services de la compagnie, qui se sait attendue au tournant si son bateau rencontre un problème. « Nous comprenons toutes ces inquiétudes et ces questions. Nous nous les sommes posées dès la naissance du projet, dans lequel la prise en compte du contenu écologique est essentielle. De ce point de vue, nous savons que nous n’avons pas le droit à la moindre erreur ».

PRENDRE L’HÉLICOPTÈRE POUR ALLER VOIR LES MANCHOTS

En Antarctique, où le tourisme est beaucoup plus cadré et règlementé qu’en Arctique, il faudra être très prudent, notamment vis-à-vis des manchots empereurs, qui nichent sur la banquise. Selon les protocoles en vigueur, le navire ne pourra s’approcher à moins de 10 kilomètres des manchotières. Mais pour que les touristes puissent voir les animaux, il faudra les transporter à proximité via les hélicoptères embarqués. Cela, seulement si la banquise est suffisamment solide pour supporter le poids des appareils, ce qui nécessitera, en plus des images satellites, des reconnaissances préalables en visuel, puis en déposant une équipe de naturalistes qui pourra sonder la glace en réalisant, par exemple, des carottages.

LA GLACE SE REFERMERA DERRIÈRE LE PASSAGE DU NAVIRE

Pour ce qui est de briser la banquise, l’impact devrait être très limité, et même pour ainsi dire nul selon Ponant. « La banquise est une surface en perpétuel mouvement. Au cours de l’année, elle s’agrandit, elle diminue, elle se fracture, elle se contracte, elle plie, elle casse, elle se déforme à un endroit pour mieux se reformer à un autre. Il est probable qu’une partie de la navigation du Ponant Icebreaker se fasse dans des chenaux de glace déjà ouverts. Une autre partie se fera en cassant la glace, mais elle se refermera juste après le passage du navire. Suivant l’endroit, les vents, les courants, la température de l’eau, de l’air, les forces de pression, la glace se refermera derrière le passage du Ponant Icebreaker entre 15 minutes et une journée », assure la compagnie aux clients s’interrogeant sur cette question.

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