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Sur la route du Blues: l’âme de l’Amérique

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Franck Laboue
L’aventurier épicurien
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C’est l’histoire d’une route américaine, une route qui plonge littéralement dans l’âme musicale des États-Unis. Mythique, elle l’est assurément, tout comme sa consœur de l’ouest, la route 66. Pour moi, le passionné d’Amérique, elle est peut-être même plus belle. Elle a des airs discrets, une dimension culturelle unique et surtout, la culture musicale. C’est un bonheur long de 1 600 km. C’est pour moi partir sur les traces des mythes de la musique, des légendes qui portent les noms de BB King, Robert Johnson, John Lee Hooker ou encore Muddy Waters. La route du blues, c’est surtout le Mississippi, la colonne vertébrale du pays et sa plus grande artère fluviale. C’est le long de cet immense cours d’eau boueux presque tropical que nos ancêtres ont repoussé la frontière de la Nouvelle-France. Sur cette voie d’eau, Cavelier de La Salle prendra possession de la Louisiane au nom du roi Louis XIV, une épopée qui résonne jusqu’à aujourd’hui. Sur cette route, vous pourrez entendre les voix des grands musiciens qui l’ont hantée. Les Afro-Américains y feront naître le blues et raconteront leur histoire avec leurs guitares. Préparez vos compilations de blues et préparez-vous à manger de l’asphalte entre Chicago et la Nouvelle-Orléans. Une route en forme de pèlerinage sur les chemins de l’histoire.

UNE ROUTE HISTORIQUE 

Descendre le fleuve Mississippi, c’est partir pour le « Vieux-Sud », terre martyre des Afro-Américains. Partir sur la route du blues, c’est arpenter le « Highway 61 », célébré par Bob Dylan et mystifié par les Anciens. Courant musical de la fin du 19ème siècle, le blues est né dans les champs de coton du Sud. À travers ses mélodies et ses accords, il se fera la voix des Afro-Américains. C’est la musique du quotidien, celle qui raconte les souffrances et les petites choses de la vie. Ces mains noires qui filent sur leurs cordes vont inspirer pendant des décennies les plus grands artistes du siècle. Les rockeurs doivent leur son aux bluesmen, Elvis et Chuck Berry notamment. Des Rolling Stones à Éric Clapton, tous se pâment et louent l’influence du blues sur la musique d’aujourd’hui. Voyage musical donc, mais aussi voyage dans le temps d’une Amérique à l’autre, d’une réalité à l’autre le long de cette artère mythique. Bouclez votre ceinture, allumez la radio et partez.

CHICAGO: LE BLUES DANS LE VENT 

Vous pourrez partir de Chicago ou de la Nouvelle-Orléans, peu importe le sens dans lequel vous aborderez cette route magistrale, elle sera belle. Mais redescendre le fleuve, c’est un peu prendre la route que nos ancêtres prirent quelques siècles auparavant et terminer en beauté musicale ce parcours aux notes de blues. Il y a le blues du Delta … et le blues de Chicago! Deux noms, deux styles. La route du blues est aussi économique, la musique s’étant diffusée en même temps que les noirs fuyant les lois raciales et la pauvreté du sud. Venus travailler dans les usines, ils apportèrent le blues dans leurs bagages. Si les rues de la Nouvelle-Orléans ont leurs joueurs de jazz, les rues de Chicago, elles, ont leurs clubs de blues. Ce n’est pas pour rien qu’un des plus grands airs de blues s’intitule « Sweet Home Chicago ». Une musique qui constitue l’ADN d’une ville admirable sur tous les plans. Une ville qui me rappelle les joyeux « Blues Brothers ». Jake et Elwood, les amoureux du blues incarnés par John Belushi et Dan Aykroyd feront revivre le courant musical des années 80. Qui ne se souvient pas de leur reprise de « Everybody need somebody to love »? Marquant! En vous baladant dans les rues venteuses de Chicago, vous ne pourrez pas manquer les studios de la Chess Records, l’un des studios mythiques du blues. Les plus grands s’y firent connaître, Chuck Berry, Bo Diddley ou encore Howlin’ Wolf pour n’en citer que quelques-uns des plus célèbres. Le soir venu, rendez-vous au club « Buddy Guy’s Legends Bar », blues live et ambiance «Hard Rock Café » au menu.

HIGHWAY 61: LA ROUTE DU BLUES



Il est temps de prendre la route; direction le Sud. Les plaines de l’Illinois sont dans notre rétroviseur, le Missouri nous attend. Voilà qu’arrive la belle Saint-Louis, héritière de la Nouvelle-France et célèbre pour abriter la plus haute arche du monde: pont de 192m symbole de la frontière entre l’Est et l’Ouest. C’est ici que feu Chuck Berry tenait son club, le « Blueberry Hill », du nom de la chanson de Fats Domino. Apparaît alors l’embranchement pour le fameux Highway 61 toute Bob Dylanesque. Pas étonnant que ce soit ce morceau tout particulier de la route qui soit nommé « Blues Highway ». Elle s’enfonce littéralement dans les racines du blues en direction du delta du Mississippi. Il commence alors à faire plus lourd, les abords du fleuve sont peut-être un peu plus ternes et la route monotone, mais quelle vibration dans l’air! C’est surtout sur cette route, au croisement de la 61 et de la 49, que le pionnier du blues, l’unique Robert Johnson, aurait vendu son âme au diable. Un pacte avec le malin afin d’être le maître incontesté du blues. C’était en 1930, dans la région de Clarcksdale.

MEMPHIS: AFFOLANTE BEALE STREET 

En suivant les rives de plus en plus boueuses du Mississippi, nous arrivons dans l’une des cités pilier de la musique: Memphis au Tennessee, l’un des berceaux du blues. Si Nashville, dans le même état américain, est la capitale de la musique country, Memphis, elle, est le pivot central du blues, presque à mi-chemin entre Chicago et la Nouvelle-Orléans. Pour beaucoup, elle reste la cité du « King » où sa résidence de « Graceland » continue d’attirer les admirateurs et les curieux. On croise avec un sourire le « Hearbreak Hotel », mais on s’arrête surtout aux « Sun Studios » où bon nombre de musiciens talentueux commencèrent leur carrière.  Elvis y fera ses premières armes bien sûr, mais aussi Johnny Cash ou encore Jerry Lee Lewis. Pour poursuivre la visite, rendez-vous aux studios « Stax », le concurrent mythique. Dans ce petit studio, ce sont surtout les musiciens « Soul » qui feront frémir les murs avec leur voix. Ottis Redding s’y fera notamment connaître. C’est sur Beale Street que tout se passe, on y croise le « Rock’n’Soul Museum » et sa riche collection d’objets. C’est le soir que cette rue saugrenue et particulière s’anime. Cafés, clubs, boutiques, tous s’illuminent et se réveillent. Malgré l’aspect délabré de l’endroit, on y retrouve plusieurs bars de qualité où écouter de la bonne musique. Parmi eux, le BB King’s Blues Club notamment, ou encore le « Rum Boogie’s Cafe » et son ambiance tamisée.

AU COEUR DU DELTA: CLARCKSDALE 

À présent, nous sommes réellement dans le Sud. La frontière de l’état du Mississippi vient d’être franchie. Nous entrons dans un autre monde, le décor me fait dire que ces hommes avaient de quoi « avoir le blues ». Champs, marécages, relents de bayous, tout sent la moîteur du Sud. C’est au milieu de ce panorama qu’apparaît Clarcksdale. Petite bourgade simple, elle a l’allure de cette vieille Amérique de campagne qui réchauffe le cœur. C’est pourtant ici l’un des arrêts immanquables sur la route du blues. C’est ici que l’on vient écouter le son du « Delta Blues ». Un musée y est d’ailleurs dédié: le bien nommé « Delta Blues Museum ». À ne pas louper si l’on veut connaître l’une des grandes ramifications de cette musique qui a enfanté le Rock’n’roll. Un petit arrêt à l’ambiance champêtre pour tous les amateurs de musique.

LA NOUVELLE-ORLÉANS: AUX RACINES 

Quelle meilleure manière de finir en beauté qu’une arrivée à la Nouvelle-Orléans! Ici, le blues vient rejoindre le jazz pour le plus grand bonheur des mélomanes. Quelques artistes de rue font chanter leur guitare au milieu des cuivres des groupes de jazz. Le chemin musical fut aussi un chemin historique. Nous venons de fermer la boucle de la Nouvelle-France en arrivant dans la capitale historique de la Louisiane française, celle des chevaliers d’Iberville et de Bienville, dont les noms ornent encore plaques et rues de la cité. Nous éviterons la turbulente « Bourbon Street » et ses excès en tous genres. Les rues adjacentes respirent un peu plus l’ambiance si particulière de la ville. Peu de clubs continuent de subsister en terre de jazz, mais on note le « Bamboula’s » sur Frenchmen St., avec ses concerts gratuits.

C’est toute l’Amérique et la musique que j’aime qui se retrouvent à la Nouvelle-Orléans. Tout le long de ce parcours, un seul dénominateur commun: le blues et son universalisme. Magie musicale aux décors et artistes si multicolores.

VERDICT DU CHRONIQUEUR

Route touristique majeure et pourtant un peu plus oubliée, la route du blues est un mythe purement américain. De l’imposante Chicago aux notes flottantes des rues de la Nouvelle-Orléans, c’est un chemin à travers l’histoire de la musique et du continent que nous propose cette route à part. De la ségrégation à la Nouvelle-France en passant par les studios mythiques et les plus belles notes de musique, la route du blues est une façon de regarder d’un autre œil la vaste Amérique. Moins parcourue, insolite et mythique, cette région d’Amérique a tout pour plaire, amateurs ou non de musique.


À ÉCOUTER, À VOIR

Une liste difficile à proposer tant les artistes de génie y prolifèrent, une sélection essentielle:

BB King, Robert Johnson, Muddy Waters, Howlin’ Wolf, Buddy Guy, Chuck Berry. Du côté des petits nouveaux citons Gary Clark Jr. Qui nous vient du Texas.

The Blues Brothers (John Landis – 1980) Film culte et lettre d’amour au Blues. Une comédie qui ne prend pas une ride, tout comme sa musique.

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